Charline est un peu comme une fleur, mais pas une rose de serre surchauffée, ou d'import au bilan carbone délirant. Non, c'est une fleur rare, sublime, au parfum délicat et enivrant, qui se cache dans le coin d'un jardin en friche. D'abord bouton prometteur dans le premier tome, elle s'est ouverte divinement dans le suivant, et enfin, les pétales de notre Charline se déploient enfin totalement dans un troisième tome riche, engagé, puissant, parfois même profondément touchant. Et le résultat est simplement parfait. Il y a tout d'abord un avant-propos délicat et interrogateur de la part de Céline Herry, où elle pose un regard a mi-chemin entre l'inquiétude et l'espoir, et choisit de nous présenter une vision des choses qui pourrait bien tout changer, sans jamais nous forcer à suivre son cheminement. Elle déblaie les petits chemins de campagne de la pensée, mais ne nous oblige pas à les emprunter, et ne nous jugera sûrement pas si on choisit de ne pas le suivre. C'est peut-être d'ailleurs ici le cri du coeur de l'autrice, par le biais de son héroïne irrésistible : un appel au non jugement, non pas dans un constant naïf et simplet, mais plutôt comme un véritable choix de vie. On a le droit de ne pas tomber dans la surenchère systématique. On a le droit de vouloir détourner le regard du commerce de l'information sensationnelle. On a la droit d'exiger un peu de neutralité dans son sens le plus noble, pour retrouver notre souffle, volé par une campagne effrénée à qui fera le plus. Plus de bruit, plus de rage, plus de cris, plus de consommation, plus d'oeillères et moins de liberté. Charline se place désormais en créatrice d'équilibre, de mesure, en porteuse de l'appel à faire taire les flashs et les bandeaux des chaînes infos pour se recentrer. Et fidèle à elle-même, elle ne le fait pas dans la force et les larmes, mais en pointant du doigt le bien-fondé du fruit de ses réflexions. Et, généreuse par nature, elle nous prend une fois encore par la main pour nous montrer le chemin, et comme il est beau, et comme il donne envie. Mais c'est bel et bien un choix conscient et informé qui est fait par le lecteur. Charline passe par des concepts assez simples à comprendre, a mi-chemin entre références pop culture et rites de passage, pour appliquer ses pensées sur le monde. La visite chez l'ophtalmo est un vibrant appel à couper la télé pour s'entendre penser à nouveau, Koh Lanta présente la vie comme finalement pas si éloignée du célèbre jeu, et la quête de jeunesse devient un constat aussi navrant que libérateur de l'agressivité du marketing cosmétique. Ces petits textes, presque des essais philosophiques pas tout à fait sages, font fonctionner la pensée en entonnoir purifiant : Charline y fourre toutes ses idées, et il en ressort un nectar clair, marquant, terriblement éloquent et gorgé de ce fameux bon sens abandonné au profit des éclats de voix du monde moderne. Charline se confronte aussi aux absurdités totales de la vie, comme la recherche d'un appartement où faire pousser ses marmots, et avec un humour libérateur, elle secoue un peu le statu quo et les vendeurs de biens qui ont totalement perdu pied avec la réalité. Une nouvelle fois, elle pointe du doigt un système complet qui est destiné à formater les gens, sans jamais succomber à la moindre forme de théorie de la conspiration. Elle fait simplement l'état des lieux (et elle ne rendra sûrement pas la caution) d'un monde qui a cessé de vivre selon ses principes, et obéit à ceux d'une force visiblement destructrice. Mais, au lieu d'un portrait alarmant d'une civilisation qui se fait la malle, elle embrasse le changement. Est-ce que ce grand revirement tant décrié ne serait-il pas justement l'occasion de tout refaire à neuf, en prenant compte de toutes les forces en présence, et en laissant de côté les diables de la finance et de la politique, têtes dans le sable comme autant d'autruches molles et aveuglées ? Et si laisser passer la tempête n'était pas la solution ? Charline appelle non seulement à ne pas la laisser passer, mais aussi à danser sous le vent et la pluie, et commencer à défaire pour refaire. Celine joue avec la forme, avec les formes, elle exerce sa plume comme une patineuse, libre, légère, elle virevolte et s'essaie aux figures de style avec un petit esprit rebelle qui fait un pied de nez aux cases, aux castes et aux générations. Elle réunit tout le monde, et encourage à ne plus se laisser dicter nos amours et nos désamours par l'extérieur, mais par notre propre petite voix. Quand approche la fin de ce délicieux tome 3, Charline arrive à des conclusions plus profondes, plus graves aussi. Elle souligne la capacité de l'âme humaine à sans cesse apprendre, elle fait le constat de l'immensité merveilleuse de l'univers, elle ouvre et ferme une parenthèse magique et nous laisse un peu ivres, un peu heureux, un peu tristes que ce soit déjà terminé, mais avec une petite place dans nos coeurs pour toujours rien que pour Charline. Au lieu de ranger les trois tomes, il faut les garder sous la main, prêts à être réutilisés, comme si Charline était la version moderne d'une bonne fée. Elle ne transforme pas les citrouilles en carrosse, elle soigne les âmes et leur apprend à se libérer. Au travers de ces trois ouvrages si particuliers, si intenses, si drôles et si vivants, Celine Herry repousse les lignes, casse les codes, détruit ce qui ne permet pas la liberté et impose une trilogie unique et puissante. Charline va me manquer, mais je sais qu'elle est à une page d'ici. C'est un réconfort, un vrai.