En t'attendant est un ouvrage particulier, de la meilleure façon possible. Autobiographie d'une jeune femme complexe, dense, pleine de failles et de fêlures, mais toujours battante et résiliente, il capture un désir d'enfant insatisfait, et toutes les agressions et les bonheurs qui jonchent le parcours de vie de l'héroïne, ainsi que sa relation salvatrice et puissante à la religion. L'incipit est étrange, un peu décousu, attrapant au vol les souvenirs de l'héroïne, reflet de l'autrice, qui essaie de dresser un portrait fidèle d'une petite fille, puis une jeune femme qui peine à trouver ses marques dans sa propre vie. Enfant de parents imparfaits, confrontée à la maladie mentale trop jeune, elle fait ses propres expériences qui ne sont pas toujours heureuses, jusqu'à finir propulsée dans un mariage dont elle capture toute la complexité. Passé ce survol rapide de toute une enfance, on arrive dans le coeur battant du roman, qui trahit très bien toute la douleur et tous les espoirs de l'autrice et de son personnage. Et c'est bien là que le roman prend toute sa puissance dévastatrice et propulse la narratrice dans un statut d'héroïne tant elle bataille pour garder la tête hors de l'eau malgré les micro-agressions du monde, notamment médical, qui s'accumulent sans jamais lui laisser l'espace pour parler de ce qui lui fait si mal. Elle doit virevolter entre les aspects de sa vie qui ne sont pas idéaux, mais que la religion trouvée comme un appel permet d'aider à supporter. La religion est d'ailleurs un pilier très fort du roman. Elle parvient, via un esprit très pieux et capable de se référer à Dieu pour avoir un guide et un fil d'Ariane, à se frayer un chemin incertain dans la vie sans jamais abandonner. Et pourtant, on parle bien ici d'une existence qui n'a fait aucun cadeau à l'autrice, mais elle garde à vue la lumière même dans la plus noire des obscurités. Le véritable trésor, le coeur palpitant du roman demeure la deuxième partie, où la narratrice va dresser un portrait glaçant de la violence ordinaire, invisible, presque, faite aux femmes par la médecine en général et surtout la médecine gynécologique. En plus de la douleur psychologique de se savoir faite pour la maternité et confrontée à un corps qui la refuse, elle subit la froideur, l'usage de la force dans les examens, les commentaires dégradants, et un total effacement de son statut d'être humain pour n'être plus qu'un corps. Ce qui frappe dans cette seconde partie-nécessaire et à mettre entre toutes les mains pour provoquer un électrochoc-c'est le contraste absolument bouleversant entre les errances des parcours de lutte contre l'infertilité, la froideur des médecins, et l'immense espoir qui reste dans cette volonté de supporter même l'insupportable. Par exemple, la tentative de fibroscopie, qui tient purement du cauchemar. Cependant, la force de cette partie, c'est l'opportunité qu'elle saisit de transformer les épreuves en chances de solidifier son couple et nourrir sa relation à son conjoint. Il y a quelque chose de l'ordre de l'espoir pur dans cette volonté de ne pas tomber dans les horreurs de la médecine supposée moderne. Une des plus belles qualités de Johanna, c'est sa sincérité presque désarmante quand elle parle des épreuves traversées, qui passent par les violences sexuelles et conjugales, l'addiction et les troubles alimentaires. Elle ne cache rien, elle ne s'encombre d'aucun faux-semblant, elle révèle sa vérité d'une façon brute qui est, une fois encore, assez rare dans la littérature contemporaine. Cela rend notre expérience de lecture haute en couleurs et en émotions. Enfin, que dire de cette dernière partie, cette adresse directe à cet enfant qui n'arrive pas encore, et qui laisse le lecteur hors d'haleine, profondément touché, et souhaitant sincèrement qu'un second roman racontant l'arrivée si désirée de cet enfant soit écrit par Johanna Delorme. Pour conclure, la réalité et la fiction autobiographique se confondent dans ce récit poignant, nécessaire et qui pointe du doigt des dysfonctionnements majeurs dans les parcours d'assistance à la fertilité, mais souligne aussi la beauté d'une relation à la religion dans un monde où elle est souvent détournée pour faire du mal. Difficile de ne pas garder un petit espace dans son coeur pour cette jeune femme époustouflante, en espérant qu'enfin, la maternité sera sienne.