Le hasard de ma rencontre a fait que j'ai lu Cher Maître avant Jamais Très Loin Des Cyprès, alors qu'ils sont plutôt dans la suite l'un de l'autre. Mais qu'importe. Les deux romans se lisent parfaitement à part, et cela a rendu mon expérience de lecture d'autant plus étonnante et intéressante. Etats-Unis, années 90. Lilly accueille son premier enfant alors même qu'elle fait le deuil de son mari, tué sur le front. Jack voit arriver Joanny, sa fille adorée, à l'instant même où sa maman perd la vie en couches. Les deux parents solo, forcés à digérer le deuil pour ne pas couler. Ainsi commence la vie de ces deux enfants, qui vont se rencontrer, se lier avec un troisième enfant et grandir dans un monde qui ne fait pas que des cadeaux... Dès les premières pages, on retrouve avec plaisir la belle plume de Carole Lavenant. Elle n'a pas son pareil pour planter un décors en s'attardant avec délicatesse sur les petits détails qui ont du sens, et qui installent dans l'esprit du lecteur un paysage vibrant et facile à se représenter. Elle ne tombe pas dans les gros clichés américains, et peint une presque aquarelle des lieux tant elle est subtile mais complète. Sans surprise-surtout parce que c'est pour moi le prequel de Cher Maître-les personnages sont épatants de réalisme et de puissance, avec des traits propres, des façons d'aborder la vie qui n'appartiennent qu'à eux, et des manières de parler et de vivre qui ne peuvent ressembler qu'à eux-mêmes. J'ai adoré comprendre les origines et la jeunesse des personnages que j'avais tant aimé dans Cher Maître, notamment le cauchemar de Tom envoyé en camp de "redressement". En définitive, je ne regrette pas du tout avoir abordé les deux romans ainsi, parce que j'avais déjà une vraie attache pour les protagonistes et traverser une si belle tranche de vie avec eux m'a profondément touchée. Carole est une merveilleuse autrice de la bienveillance. Cela peut sembler dérisoire, mais elle a une vraie signature dans sa façon de créer les liens entre les personnages et les entourer d'une aura profondément bonne, même quand ils confrontent la peine, la haine, le malheur et les épreuves. Quand on plonge dans ces belles sagas familiales, où l'on redéfini le mot famille avec les liens du sang mais aussi ceux du coeur, on sait qu'on va y trouver une vraie richesse et une belle âme. C'est un sentiment régulier chez l'autrice. Elle travaille ses personnages comme d'autres taillent des pierres précieuses : avec attention, détail et sans avoir peur du travail de longue haleine. Au final, elle offre au lecteur des protagonistes vrais, beaux, animés d'intentions qui leurs sont propres, sans jamais basculer dans une forme de méchanceté gratuite pour créer le drame. Enfin, une fois encore, les références de culture populaire disséminés ici et là font mouche pour un tableau complet, certains m'ont fait sourire. Carole maîtrise totalement ses personnages et son contenu, et sait mieux que quiconque transmettre des émotions brutes, belles et dévastatrices en même temps. Ce n'est pas sans faire penser à la série This Is Us, qui avait à coeur de peindre l'image d'une famille sur plusieurs décennies. Quoiqu'il en soit, Carole Lavenant est sans aucun doute en train de devenir une de mes autrices préférées. Sa plume et cette défense des beaux humains et de la bonté trouvée même là où elle n'est pas visible à l'oeil nu sont un bonheur.