Une merveille !
Quand avez-vous lu pour la dernière fois du vrai, magnifique théâtre, qui vous fait rire et vous brise le coeur dans le même mouvement, et vous laisse profondément bouleversé et stupéfait par tant de beauté ? Quelque chose qui ne peut qu'avoir capturé un bout de l'âme de Rostand, un fragment de celle de Molière, et un peu du talent de tous les grands dramaturges classiques qui ont jalonné l'histoire et la culture fançaise...Ne cherchez plus. Antoine Le Grix signe ici une pièce hors du commun, qui se laisse inspirer par les maîtres du genre sans jamais les plagier, présente une poignée de personnages qui happent le coeur du lecteur pour ne plus jamais le relâcher, et qui est un bonheur absolu à lire.
Siméon et Aurore se rencontrent de façon presque fortuite sur le port. Lui n'a pas été épargné par l'existence, et elle est une fantastique tornade de vie, de joie et de courage. A son contact Siméon retrouve goût à la vie, et pendant que tous les deux succombent à des émotions qui les dépassent, ils rejoignent la lutte contre le tyran local, Louis De Saran. Dans un tourbillon de sentiments et de refus de l'injustice, ils vont tous les deux apprendre à prendre tous les risques...
Par où commencer ? Tout dans cette pièce est calibré, maîtrisé, effectif, puissant, même. Rien que le choix audacieux de produire une pièce en vers est époustouflant d'efficacité et de richesse. Le langage est soutenu, mais jamais l'auteur ne rend le texte trop nébuleux pour ne pas être parfaitement compréhensible. Les champs lexicaux tiennent du gisement de pierres précieuses tant ils sont variés, nuancés et subtils, et ils appuient parfaitement toutes les intentions des personnages. Les rimes sont créatives, et elles créent une forme de musicalité dans les répliques.
L'intrigue reprend des codes classiques, une histoire d'amour sur fond d'action et de lutte pour la justice, mais sans jamais piétiner les platebandes des grands maîtres. Une passion évidente de la part de l'auteur pour la dramaturgie classique est perceptible, ajoutant moult références en plus de l'intelligence de base du texte. On navigue entre introspection amoureuse et défense d'idéaux d'égalité et de combat contre les oppresseurs, sur fond d'amitiés franches et de bravoure parfois aveugle. Ici et là, on se laisse surprendre par des péripéties et des rebondissements, avant de se faire attaquer par une immense émotion qui vient comme une lame de fond tout emporter dans son sillage. L'un et l'autre sont équilibrés, de façon à ce que le lecteur ne soit jamais dans le creux de la vague. On ne s'ennuie pas un seul instant.
Souvent, quand on écrit le théâtre, on tend à abuser des didascalies. Ici, elles sont rares et précieuses. Elles illuminent avec précision les états d'âmes des personnages, parfois même avec une maîtrise qui coupe le souffle. Acte deux, scène VIII fait partie de ces passages presque absurdes de beauté et de profondeur. Antoine comprend parfaitement le coeur de ses personnages, et sait avec brio communiquer le fond de leurs âmes au lecteur. On est témoin de quelque chose de pur, tragique, et qui invite à l'introspection et la réflexion sur le sentiment amoureux et la façon dont il se joue de nous.
La pièce comporte quatre actes, mais se lit avec une facilité déconcertante tant le propos est bien mené et parfaitement construit, et les lieux sont très bien positionnés pour que le texte soit simple à visualiser. En tant que comédienne amateure moi-même, je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce qu'une mise en scène pourrait donner, et, puisque l'imaginaire est infini et passe au delà des limites physiques, j'ai vu en Siméon un Gerard Philippe, et une Michèle Morgan en Aurore. C'est dire comme le texte semble tirer un trait d'union entre l'âge d'or du théâtre et aujourd'hui.
Il y a tellement à dire de ce texte incroyable, qu'y passer une journée ne suffira pas. Souligner le passé délicatement évoqué de Siméon, la profonde modernité du personnage d'Aurore, la bravoure de ces coeurs qui n'hésitent pas à se jeter dans la gueule du loup au nom de la justice...Les trésors se lisent autant entre les vers qu'à l'intérieur.
Il n'y a de toutes façons qu'une seule façon de le comprendre : lisez cette merveille. Et avec un peu de chance, bientôt, une troupe lui donnera vie et Antoine Le Grix pourrait bien avoir un Molière pour décorer sa cheminée. En tout cas, il su conquérir mon coeur...
⭐ Les notes en détail
Peu de personnages ultra-maîtrisés, qui ont tous un fond, une forme, une façon de s'exprimer propre malgré la contrainte des vers et de la rime, et à qui les didascalies donnent une vraie substance...C'est un bonheur. Même ceux qui n'ont aucune ligne à déclamere, mais dont la présence est capitale, sont le fruit évident d'un travail de construction profond et inspiré.
Grâce à une scène d'exposition parfaite, le rythme est facile à prendre et à suivre, et les quelques indications précises de lieux et de temps permettent de ne pas se perdre en contexte superflu. Si on ferme les yeux un instant, on s'imagine une mise en scène sans aucune peine. Les scènes d'action dans la plus pure tradition et qui lorgnent chez Rostand rendent le tout jubilatoire avant d'être dévastateur. Magnifique, palpitant et bouleversant.
Le choix des vers, bien qu'ambitieux, fonctionne ici à merveille. Le registre de langue est soutenu sans jamais être nébuleux, et on redécouvre des trésors de la langue française oubliés, ou trop peu utilisés. Il y a un vrai lyrisme dans les réplique, qui génèrent un rythme naturel et une mélodie envoûtante. La longueur des répliques change et va au gré des émotions des personnages, et on ne s'ennuie pas une seule seconde.
Elle est simple dans son fond et fabuleusement riche dans sa forme, et elle est composée de strates toutes aussi porteuses et puissantes les unes que les autres. On ne risque jamais de s'y perdre, et les deux thèmes principaux, l'histoire naissante et dévorante entre Aurore et Siméon, et la lutte contre le régent, se croisent et s'articulent l'une avec l'autre d'une façon stupéfiante d'efficacité et de maîtrise.
La scène d'exposition est redoutable d'efficacité : pas de temps perdu en éléments inutiles, on est pris à témoin du début d'une histoire entre deux personnages dans la plus grande tradition du théâtre classique. Les répliques trahissent les émotions des personnages sans les dépasser, et en quelques vers on parvient à comprendre qui sont les deux protagonistes. Une fois cette scène passée, la lecture est enfiévrée,
Bien sûr, avec pareil trésor, la cohérence est impeccable. L'ensemble se tient parfaitement, les grandes lignes comme les détails. L'histoire d'amour se construit progressivement, sans à-coup et de façon fluide, et la lutte contre l'oppresseur fait parfaitement sens dans le contexte historique, et amène un équilibre entre les fils narratifs.
Pas besoin de grandes phrases, cette lecture fut un bonheur intense du premier au dernier vers. Le rythme, l'intrigue, la beauté des personnages...Tout est stupéfiant de perfection. Les émotions prennent à la gorge, les scènes sont ultra calibrées, et on passe du rire aux torrents de larmes sans préavis et pourtant de façon si cohérente et si riche. Vite, qu'une troupe adapte cette merveille sur scène ! Elle sera sans conteste aussi jubilatoire à jouer qu'à voir jouée.
Publié le 30 octobre 2023