Un frisson bien dosé (et quelques cauchemars...)
L'avantage avec Lancelot Cannissié, c'est qu'en proposant cette collection de nouvelles, il rentre dans le vif du sujet presque immédiatement. Dès les premières lignes, l'ambiance est posée, l'angoisse et la peur coulent de source, et on se retrouve dans un univers graphique, terrifiant, où tout peut arriver à tout moment.
La créativité de Lancelot est présente tout le long du recueil. L'auteur ne se contente pas de reprendre des archétypes de l'horreur, mais il les adapte et les transforme pour en faire des créatures cauchemardesques, biologiquement impossibles et pourtant tout à fait aisées à se représenter grâce à la plume de l'auteur et à des descriptions solides et précises comme des dizaines de lames de scalpel ultra affûtées. On se laisse prendre par un worldbuilding qui sait naviguer entre les références à Lovecraft ou à Poe, mais sans jamais piétiner les platebandes des maîtres du genre.
Lancelot sait aussi parfaitement gérer l'action. Sa plume est haletante, rapide, elle dépeint à merveille les émotions des personnages, les sensations de dégoût, de rejet viscéral des horreurs vues et perçues. Il parvient à se servir de contexte pluri-sensoriels pour installer les perceptions et faire comprendre au lecteur les péripéties, et comme les créatures imposent l'épouvante de façon naturelle, grâce aux images et aux notions présentées par l'auteur. Tout est palpitant, éreintant, on se sent menacé en permanence, on arrive même à se représenter les cris des bestioles que Lancelot envoie ici et là.
Les mécanismes de la littérature d'horreur sont maîtrisés, depuis les corps ensanglantés et dans des états plus ou moins terribles(plus "plus" que moins, d'ailleurs), jusqu'aux pertes d'amis, de proches, dans des circonstances qui causent, en plus de la terreur physique, la trouille psychologique. Le mélange des deux fonctionne très bien.
J'ai quelques petits regrets, cependant, qui ne sont pas bloquants pour le plaisir de lecture, mais pourraient élever l'ensemble vers des sommets d'intensité. Par exemple, les chutes des trois premières nouvelles ont tous les codes de la fin de récit court, et sont spectaculaires et assez inattendues, mais elles manquent de subtilité dans la façon dont elles sont amenées. Elles apparaissent presque précipitées, sans leur laisser le temps de s'installer.
Les personnages sont en général plutôt solides et développés correctement. Ils correspondent à des archétypes de la littérature d'horreur classique, que Lancelot revisite avec brio en leur donnant une couleur propre et des lignes réalistes, ainsi que des liens avec des proches qu'ils peuvent perdre, et qui crée une vraie tension psychologique. Les réactions des protagonistes sont plutôt compréhensibles et attendues, avec, parfois, des attitudes qui sortent des lignes et donnent aux personnages une couleur plus forte et plus marquée encore. Il arrive qu'on questionne certains éléments mineurs, comme par exemple l'obsession à aller à l'endroit où les choses sont étranges et terrifiantes et potentiellement dangereuses, mais dans l'espace de la nouvelle, ça tient la route.
Pour finir, comment ne pas m'attarder sur un élément qui m'a complètement bluffée : la façon dont la dernière nouvelle, sans spoiler, renvoie à la première et donne l'impression de faire un cercle parfait avec les quatre histoires. En plus d'être truffée de références partout, cette dernière nouvelle permet à Lancelot de montrer son niveau de maîtrise de l'intrigue générale, et comme rien n'est gratuit dans l'espace narratif. C'était un pur instant de jubilation !
Pour résumer, voici un ensemble solide, perfectible mais particulièrement agréable pour les fans du genre, et qui offre une belle sélection de moments d'angoisse littéraire pure. En décidant d'écrire dans ce genre, Lancelot Cannissié ne s'est vraiment pas trompé !
⭐ Les notes en détail
Il y a dans les personnages de Lancelot quelque chose de très classique, très carré dans le meilleur sens possible. Ils renvoient à Lovecraft, ou a Poe, dans la façon dont ils réagissent de façon naturelle aux évènements qui ne le sont pas.
La façon dont Lancelot Cannissié construit l'ambiance est d'une redoutable efficacité. Le tempo est rapide, les créatures sont vraiment visuelles, les corps sont malmenés, tous les sens sont utilisés...Pour de l'horreur, ça marche parfaitement.
Le style de Lancelot est souple, fluide, facile à lire et à comprendre. Les champs lexicaux de la terreur sont maîtrisés. Petit regret cependant sur les dialogues, je regrette que les voix ne soient pas plus différenciées, mais ce n'est rien de vraiment gênant.
Sur quatre nouvelles, les intrigues tiennent tout à fait la route. Elles vont droit au but, savent créer la tension et les relations entre les personnages, et vont vers une gradation de l'horreur mêlée à un vrai travail sur la cohérence. J'ai cependant un petit peu regretté que les chutes, tout à fait spectaculaires dans le fond, n'aient pas été mieux exploitées dans la forme.
On a peur très vite, très fort. L'horreur graphique est absolument maîtrisée par l'auteur, et le sentiment d'oppression et de terreur fonctionne parfaitement. C'est un monde de cauchemars, avec ce qu'il faut d'éléments de construction pour le rendre agréable à lire et zigzaguer entre les cauchemars potentiels.
Tout comme l'intrigue, la cohérence est solide, parfois un peu vague (par exemple, la façon dont Will parvient à faire accepter l'idée qu'il y a une autre planète en quête d'alliance m'a semblé un poil trop facile) mais Lancelot retombe toujours sur ses pattes. L'ensemble est tout de même bien construit.
Amatrice du genre, j'ai beaucoup aimé la façon dont la peur nous tombe dessus dès le début. Les mondes sont graphiques, pleins de créativité dans l'épouvante, et les références aux maîtres du genre sont subtiles et très bien intégrées. Lancelot ne s'est pas trompé en choisissant ce genre !
Publié le 19 septembre 2023