Un fort potentiel pas toujours pleinement utilisé.
Le Repaire est un roman paradoxal. Il a de très grandes ambitions pas toujours exploitées à leur meilleur niveau, il est capable de moments poignants mais aussi de longueurs, il propose une romance intéressante qui manque de développement...Il a de très grandes qualités, et certains aspects qui, s'ils étaient retravaillés, permettraient sans aucun doute au récit de prendre toute sa force et sa puissance, et proposer un ensemble original et riche.
Anne-Lise est une jeune chirurgienne en fin de parcours d'étude, sur le point de valider son diplôme, quand sa vie telle qu'elle la connaît est brusquement interrompue, et qu'elle se retrouve précipitée seule réparatrice des corps blessés d'une opération paramilitaire dont elle ne sait rien. Confinée au repaire, forcée à vivre au milieu de tous ces colosses dopés à l'adrénaline du champs de bataille, elle lutte pour imposer ses idées, ses connaissances, et gagner le respect, et qui sait, peut-être même que parmi les rangs serrés de ces hommes se trouve le compagnon qui lui fait défaut. Face à la technologie qui avance, la jeune médecin découvre le monde du transhumanisme et sa vision de la science s'en retrouve bouleversée.
Tout d'abord, il faut revenir sur la présence et la mention du transhumanisme dans le résumé, alors qu'il n'arrive que très tardivement dans le roman ( dernier tiers). Le lecteur attend probablement un traitement anticipé, et un développement conséquent de la thématique, qui est aussi moderne et porteuse que pleine de débats éthiques internes sur les conséquences de ces modifications technologiques extrêmes appliquées aux combattants. C'est dommage que cette analyse ne fasse pas plus partie du roman, parce qu'elle propose vraiment quelque chose de très original et riche, en plus de contenir des strates passionnantes qui méritent une longue exploitation. Les connaissances et la recherche sont là, l'autrice a de toute évidence intégré la thématique par passion, mais quel dommage de ne pas aller plus loin. Tout était là.
Le traitement des personnages a plusieurs facettes inégales. Si Anne-Lise possède une vraie personnalité de battante sans arrogance, et un esprit qui lui est propre et lumineux, si Jean a une histoire solide derrière lui, et si la plupart des personnages fixes (Kurt, Fred...) ont une vraie évolution (notamment Kurt qui ne laisse pas son premier ressenti emporter sa relation avec Anne-Lise), deux personnages viennent temporiser ces jolies constructions : Victor et Renate. En plus de sérieusement mettre en doute les compétences de la hiérarchie qui compte parmi ses rangs des personnages qui n'ont pas les compétences psychiques et morales pour, ils sont tous les deux figés dans des clichés antagonistes qui manquent de nuance. Quand on a besoin de créer des relations tendues entre les personnages, la première chose à faire, c'est de ne pas rendre la situation ou toute noire, ou toute blanche. Hors, ici, Victor est obsédé par une idée fixe, tout comme Renate. En introduisant des notions plus subtiles, des nuances dans leurs comportements, voire même des qualités ou des traits d'empathie pour le lecteur, on évite cette impression de trait trop épais. Ils ont tous les deux un véritable rôle à jouer, mais ils auraient tous les deux bénéficié d'un traitement plus délicat.
Un des aspects les plus réussis du roman concerne la façon dont Anne-Lise fait son métier. Là où l'autrice aurait pu ne faire de son statut de chirurgien sur qui repose la survie des combattants que quelque chose de froid et mécanique, Anne-Lise, en plus d'être la seule femme, la seule chirurgienne, et la potentielle plus jeune du repaire, dispense et partage son humanité avec tout le monde, et notamment les blessés. Elle appuie sur leur relation au monde quand ils ont besoin de s'accrocher à quelque chose pour survivre, elle insiste sur le fait qu'ils sont aussi responsables qu'elle des améliorations de leurs états de santé, elle tire un trait entre eux et la vie quand ils sont trop amochés pour se rendre compte de la gravité de leur état. Elle incarne tellement plus que son seul rôle, elle est un vent de fraîcheur, elle sort les soldats de leurs rôles, elle force le respect en imposant sa force malgré sa petite stature, elle est une vraie brise de vie dans le repaire. C'est une des forces du roman.
Attention à la répétition un peu navrante de la beauté d'Anne-Lise comme étant son premier trait. C'est souvent répété par les hommes du repaire, alors qu'une ou deux fois auraient suffit à souligner cet aspect d'elle sans rendre son physique presque plus important que son cerveau et ses compétences. De façon générale, il faut ajouter de la subtilité dans les relations. Par exemple, des adultes ne demanderaient pas de sortir l'un avec l'autre, et la relation de fond du roman mériterait d'être plus creusée, plus développée, de les laisser prendre le temps de créer cette bulle amoureuse entre eux.
La construction générale, à l'image du roman, semble presque temporiser ses idées les plus ambitieuses et les plus porteuses. Le rythme narratif se rapproche d'un cercle répétitif à base de mission / blessés / opérations / suites de soin qui reprend plusieurs fois avant de proposer le premier vrai grand rebondissement, la mission de sauvetage bretonne (sans spoiler). Toute cette partie donne l'impression d'être précipitée alors qu'elle a des dizaines de bonnes idées, et serait délicieusement angoissante pour le lecteur si on examinait tous les tenants et les aboutissants de la situation qui demande une telle mission. C'est presque comme si cette idée vraiment géniale était traitée du bout des lèvres, alors que tout est là, une fois encore.
Enfin, attention au traitement des pensées des personnages. Les tirets cadratins propres aux dialogues se doivent de ne l'être que pour les dialogues, sans introduire de pensées. La pensée d'un personnage doit être présentée autrement, pour éviter la confusion dans l'esprit du lecteur, et l'impression que des informations ou des sentiments sont révélés alors qu'ils ne sont qu'internes. Par exemple, par des italiques, ou en les introduisant dans la narration.
Le Repaire a de très belles qualités, une ambition globale absolument louable et nécessaire, et des travaux de recherche ultra porteurs, et a un vrai potentiel indéniable. Cependant, il n'est que partiellement exploité ici, et peut laisser le lecteur frustré de ne pas aller plus loin. Mais les forces sont sans aucun doute déjà présentes. Elles ont juste besoin d'un petit coup de pouce.
⭐ Les notes en détail
Anne-Lise est assez originale, et Jean se détache un peu, mais de façon générale, le roman souffre d'un certain nombre de clichés dans les antagonismes (un misogyne, une nymphomane) et les quelques soldats qui ont une vie de famille ne sont pas assez développés pour que l'on s'attache à eux. C'est dommage, parce que l'autrice a sûrement fait un travail de construction qui se devine, mais n'est pas assez poussé.
C'est un des points les plus réussis, on parvient à percevoir l'urgence des blessures et la menace qui plane, et on saisit l'histoire d'amour qui se dessine et permet d'équilibrer les choses. Quel dommage qu'on manque de contexte ! Il faudrait creuser les raisons de ces blessures, comprendre le fond de la mission pour pouvoir s'y attacher.
Il y a une très bonne base d'écriture, très peu de fautes, un langage assez imagé, des champs lexicaux maîtrisés quant à la description des manipulations médicales. Il manque cependant un peu de profondeur pour le traitement des antagonistes, et de la structure pour dégager des fils narratifs nets. Attention au traitement stylistique des pensées internes, qui a besoin d'autre chose que des tirets cadratins pour séparer parole et pensée.
Par rapport à l'accroche et au pitch qui font belle part au transhumanisme, celui-ci est très long à arriver, cédant à un système narratif en cycle attaque / opération / flirt. Et c'est regrettable, parce que plusieurs histoires sont survolées seulement et suffiraient à dynamiter l'intrigue (les histoires personnelles des soldats, les états d'âme d'Anne-Lise en dehors du travail, le questionnement quant à ce qui se passe vraiment en mission pour que les hommes reviennent dans cet état...)
La cohérence du récit est à double tranchant. D'un côté, les aspects médicaux sont maîtrisés et tiennent la route, depuis les diagnostics de la doctoresse jusqu'aux effets secondaires des blessures soignées et à l'état de fatigue. Mais de l'autre côté, pour une mission paramilitaire aussi importante, on peut questionner les raisons qui font des montées en grade de gens aussi instables que Victor ou Renate, ou le bien-fondé de missions qui envoient les hommes au casse-pipe.
C'est un sentiment de frustration qui m'anime, parce qu'il y a tellement de chouettes idées qui ne sont pas exploitées comme elles devraient l'être. La lecture n'était pas désagréable, malgré les soucis de ponctuation qui rendait les dialogues compliqués à comprendre (manque de différenciation entre ce qui est dit et ce qui est pensé), mais elle aurait bénéficié d'une structure plus solide. Il y a un très fort potentiel, c'est évident.
Publié le 28 septembre 2023