Un roman dense, riche et passionnant
Certains romans sont des coups de coeur, d'autres, des coups de foudre. Les Vies D'Elise est probablement une nuit d'orage à lui seul, tant les qualités du roman sont multiples et puissantes, et tant le personnage principal emporte l'adhésion en un claquement de doigt en prenant notre main pour nous emmener dans son-ses!-monde(s) et ne ne la lâchant plus jusqu'au bout.
Dès l'incipit, l'adresse au lecteur est directe, et la prise à témoin immédiate. Elise s'impose immédiatement comme une héroïne forte, qui refuse la complaisance quant à ses propres failles, et n'hésite pas à faire preuve de noirceur, voire de négativité. Elle semble totalement aux prises avec la réalité, sans se voiler la face, peut-être avec un peu de spleen typique de son jeune âge. Quoiqu'il en soit, on la suit tout de suite avec cette fièvre, cette anticipation des drames à arriver et qu'on sent dans l'air, entre les lignes. On la suit avec le bonheur du récit bien fait, mais aussi la petite boule au ventre des évènements futurs.
Le style de l'autrice est inqualifiable, dans le meilleur des sens possible. Il est précis, imagé, gorgé d'émotions, le vocabulaire est infiniment développé, et les champs lexicaux sont profonds et adaptés. Les descriptions sont toutes faites sur un plan multi-sensoriel, de façon à nous donner sans cesse un univers quasiment cinématique de par son réalisme, sa recherche et son effet tridimensionnel. Elle transmet ce que son personnage sent, touche, goûte, entend et voit, et elle y ajoute aussi cette touche de sixième sens qui va très bien avec ses capacités. Elle n'économise aucune émotion, ni aucun détail pour nous permettre de parfaitement saisir ce qu'Elise vit, sans pour autant jamais tremper dans le trop, ou le mal adapté. Charlotte écrit presque comme on ferait de la chimie : de façon dosée, maitrisée, mais qui n'est pas à l'abris de partir en feu d'artifice si elle le sent.
Un des aspects les plus spectaculaires-et il y en a beaucoup-demeure la mythologie interne crée de A à Z par l'autrice. Toutes les dimensions des vies éponymes sont presque tirées de livres d'histoire tant elles sont réalistes et construites. L'autrice nous épargne le trope du rejet de la réalité de l'instant pour exploiter son potentiel à mille pour cent. Elise n'est pas une victime, même quand elle est précipitée dans des univers qui lui sont inconnus. Elle ne subit jamais, elle prend des initiatives, elle lie des relations, elle s'insère où qu'elle soit et tente de tirer le meilleur parti possible, elle utilise ses ressources et son intelligence partout où elle va. Elise est une battante, elle a la résilience instinctive, et surtout, elle n'est jamais à l'ombre de nous surprendre. Pas une seule fois on ne parvient à anticiper la suite du roman, et surtout, rien ne nous est épargné.
Autre grand trésor de ce récit décidément hors du commun, l'utilisation des parallèles et de la mémoire sensorielle pour générer des souvenirs et des effets miroirs. L'autrice ne pointe jamais du doigt les auto-références, laissant au lecteur la liberté de les noter, et quand cela arrive, cela donne l'impression d'une complicité entre nous et elle. Par exemple, les éléments de la soirée de la St Nicolas se retrouvent lors de la foire, depuis les marrons jusqu'aux émotions ressenties face aux feux d'artifice. Les petits traits tirés entre les moments du roman sont une fois encore témoins d'un travail préparatoire monumental (ou d'un talent hors du commun !).
Il y a aussi une vraie recherche faite sur la psychologie des personnages, et sur leur évolution interne. Elise grandit au fur et à mesure qu'elle traverse ces épreuves et ces situations qui auraient mis en souffrance plus d'un personnage, mais qui servent de piliers et de fondations, pour le meilleur et pour le pire, à qui Elise va devenir. L'autrice a une vraie position de rejet de la facilité émotionnelle, et va aller chercher la vérité plus que la simplicité.
Parti pris de l'autrice, le roman est construit par strates, et ne s'embarrasse jamais de légèretés, ou de facilités narratives. Les éléments sont inter-connectés, les informations sont riches et creusées, et même quand on soupçonne pouvoir reprendre notre souffle, tourner une page revient aussi à prendre le risque de plonger plus loin encore dans les niveaux du roman.
Impossible de parler du coeur et de la fin du roman sans en spoiler les merveilles, parfois bouleversantes, parfois tendres, parfois d'une violence inouïe. Et ce serait vraiment trahir le futur lecteur que de lui enlever ces moments uniques tant par la puissance que par le rythme. Faites confiance à Charlotte, elle sait où elle va, elle sait comment elle y va, et elle est bien consciente de l'impact que cela aura sur vous. Et surtout, elle n'hésitera pas à vous surprendre et à piétiner avec allégresse votre petit coeur de lecteur-et vous en redemanderez.
Pour conclure-et parce qu'il y aurait tellement à en dire et à analyser-laissez à Charlotte l'opportunité de vous embarquer dans son monde complexe, fort, et qui va vous surprendre par un torrent d'émotions. Le risque ? Finir bouleversé, captivé, chamboulé, envoûté, charmé, dévasté, et découvrir le pouvoir presque magique de l'autrice. A ne surtout pas louper.
⭐ Les notes en détail
Elise, personnage principal et narratrice, est ciselée et façonnée comme un bijou. Chaque aspect de la jeune femme est le produit d'une recherche, et d'une vraie originalité. En ce sens, Elise est unique, mais elle demeure tellement facile à l'identification. Les autres personnages sont tout aussi précis et originaux, et sont tous riches de qualités et de défauts qui les rendent réels, même dans un univers fantastique.
Grâce à une narration de première personne totalement engagée, et une accroche presque directe au lecteur dès les premières pages. On s'attache immédiatement à Elise, à ses peines, à ses blessures, et on se surprend à trembler et vibrer pour elle. Le mystère général qui entoure le coeur du roman et les vies éponymes nous garde en alerte, et les pages se tournent toutes seules dans une envie d'en savoir plus (et une peur de voir arriver la fin tant on est captivé !)
Le style de Charlotte est exceptionnel de précision. Les champs lexicaux et le vocabulaire sont très travaillés, les émotions sont calculées au plus juste, et fait assez rare pour être précisé, l'autrice n'hésite pas à faire preuve de noirceur et à creuser les failles de ses personnages. Le style est ultra fluide, net, clair, enlevé, les scènes d'action sont puissantes, et la romance presse le coeur du lecteur comme une éponge.
Le roman est comme un labyrinthe extrêmement bien conduit, et chaque page peut apporter son lot de surprises, de changements, d'états et d'émotions. Cependant, on n'est jamais perdu parce que l'autrice maîtrise son univers et ne nous lâche jamais la main. Rares sont les questions restées sans réponses, et si elles le sont, elles sont le fruit d'une ouverture d'interprétation plutôt que d'un oubli.
On plonge dans le roman de façon immédiate, par la précision du style, et cette façon hors normes qu'à l'autrice de nous présenter l'héroïne. Tout est si bien présenté qu'après quelques pages, on a la sensation de connaître Elise depuis longtemps, et le lien empathique entre le lecteur et le personnage est très fort d'office. On se surprend à vouloir les éviter les peines et les épreuves, en vain, naturellement.
Tout tient spectaculairement la route quand on considère la complexité du texte. Charlotte ne laisse rien au hasard, et chaque question du lecteur va trouver sa réponse. La psychologie des personnages est maîtrisée, et tout sonne juste, réaliste malgré le contexte onirique. Ce roman est sans aucun doute le produit d'un travail minutieux et de longue haleine, et cela se sent.
Impossible de reposer le roman une fois commencé. L'immersion est immédiate, on s'attache très facilement aux personnages, et la variation entre passages détaillés et ellipses intelligentes permet de créer un rythme aussi unique que profondément captivant. On ne s'ennuie pas, tant les strates narratives sont maîtrisées. Charlotte Benoit nous entraîne dans son univers avec une facilité déconcertante.
Publié le 30 septembre 2023