Attention, pépite !
Par delà la mort est un roman rare de par sa qualité, sa profondeur, sa revisite d'un mythe pourtant compliqué à retoucher, mais aussi son style exquis, son intrigue maîtrisée de bout en bout, et son histoire d'amour aussi belle que tragique, aussi tragique que poignante, aussi poignante que fondée sur un espoir qui tient les personnages en vie alors que la fin du monde est juste là, tout près.
Sebastian a perdu la femme de sa vie, et la douleur est trop dure à supporter, alors, pion de forces ésotériques, il choisit de la faire revenir d'entre les morts, avec ce que cela compte de compromis, de mensonges, de trahisons, et de paranoïa meurtrière venant de Septimus, à la tête des forces en question.
Voilà le point de départ, qui finit par découler sur un roman multi-voix en narration première personne qui va alterner entre romance bouleversante de vérité, récit d'une fin du monde annoncée, plongée dans la psychologie du deuil et du retour à la vie, et parfois même roman d'horreur qui lorgne chez Poe de par l'extrême précision des scènes.
Chaque phrase est maîtrisée, et la griffe de l'auteur est exquise. Les champs lexicaux sont riches et cohérents, le style est remarquablement fluide malgré un registre soutenu, les dialogues sont fignolés et puissants, et l'intrigue avance dans un équilibre entre scènes d'action fortes et angoissantes et introspection profonde et hors des sentiers battus.
Un des plus grands atouts de ce roman fabuleux, c'est la facilité avec laquelle les descriptions prennent vie en quatre dimensions, plongeant le lecteur dans un univers qui nous est décrit pas seulement par la vue, mais aussi les sons, les odeurs, les goûts, et le toucher. C'est presque trop facile de se représenter le domaine de Sebastian, les cheveux de Madame, le poil de Tonnerre, la neige qui tombe sans fin, les meubles de la grande demeure, comme si l'auteur avait travaillé un storyboard aussi précis qu'une photographie. C'est extrêmement plaisant. Cette capacité perdure pendant les scènes les plus rythmées, et les éléments qui confèrent à l'horreur. Par exemple, la description de ce que cela coûte au protagoniste de réunir les forces occultes pour faire revenir sa bien-aimée est ponctuée d'un récit précis, presque chirurgical des effets physiques et de la facture psychologique. C'est saisissant. De même, la fin du roman, sans la spolier, est presque graphique tant elle est imagée et prenante.
On appréciera aussi la romance qui est délicate, douce, et quand elle devient intime, se refuse à la vulgarité et décrit les trésors de l'amour physique avec une poésie pourtant tout à fait efficace. On rosit de plaisir avec eux sans que jamais le récit ne soit en dehors de cette ligne somptueuse et fine. C'est tellement rafraichissant et vrai !
La structure narrative est épatante, et le rythme de révélation des informations est étudié pour maximiser son impact sur le lecteur. Aucune ligne narrative n'est laissée pour compte sans conclusion, et tout est exploité de façon logique, mesurée, cohérente et forte. Certaines fins de chapitres nous laissent enfiévrés, d'autres nous bouleversent, mais tous appellent à continuer sa lecture encore une page, puis une autre, puis encore une autre...Les cent dernières pages laissent le lecteur hors d'haleine, incapable de passer à autre chose, et l'histoire reste en tête longtemps après avoir lu les dernières lignes.
S'il fallait trouver un défaut à ce roman, on regrettera que les différentes voix en narration de première personne ne se ressemblent un peu trop, surtout celle de Madame et de Sebastian, mais c'est chercher un point noir dans un océan de qualités, et ce n'est pas gênant à la lecture. Au contraire, celle-ci est rapide, on rentre vite dedans, elle nous happe et ne nous lâche plus jusqu'à cette fin...Parfaite.
Ce roman est solide, touchant, dense et poétique, et s'inscrit dans plusieurs genres sans jamais les dénaturer, ce qui est un tour de force. Pour les amateurs de belles histoires, pour ceux qui méditent sur la fin du monde, pour les amoureux de vrais amoureux, pour ceux qui aiment les grandes émotions, bref, pour le lecteur en quête de vraie joie littéraire. Un must-read !
⭐ Les notes en détail
Le roman possède une demi-douzaine de personnages principaux, et de quelques secondaires, qui sont tous très bien délimités et construits, et ont tous leur lot de démons, de batailles, de qualités et de défauts qui les rendent réels. Mention spéciale à la modernité sans fard de Selina.
C'est de la 4D, presque 5D tant les descriptions se servent des sens du lecteur pour prendre toute leur force et être aussi palpables qu'un film, parfois plus. L'utilisation des perceptions des odeurs et des sons sont les plus puissantes, et marchent très bien sur le lecteur.
Style fluide, complexe et pourtant très aisé à lire. Quasiment aucune répétition, un registre de langue soutenu sans jamais être incompréhensible, des champs lexicaux riches...C'est divin à lire.
Elle est très bien gérée de A à Z. L'auteur dessine une dizaine de lignes narratives depuis les principales (la relation entre les époux; les souvenirs de Madame...) jusqu'aux secondaires (Selina ; le monde qui disparaît...) et elles sont toutes traitées avec grand soin, sans rien laisser dans le vide et sans réponse. Il y a même un pistolet de Chekhov très bien caché et puis fait impact bien plus tard. L'intrigue est un diamant parfaitement taillé par un joaillier de talent.
Grâce à la création de l'atmosphère très nette et pluri-dimensionnelle, l'immersion est totale. Tout est net, clair, riche, impactant, l'auteur nous prend par la main pour nous faire visiter tous les coins sombres et les angles morts et nous montrer que même ceux-là sont parfaitement décrits. L'immersion est vraiment complète, et on peine à quitter l'ambiance une fois le roman terminé.
Tout est mesuré, soupesé, cartographié, presque, et rien ne reste en suspend. Même les émotions des personnages, parfois extrêmes, sont gérées avec une vraie connaissance de la psychologie humaine et jamais on ne trouve que les personnages agissent en dehors de leurs lignes. Tout s'enchaîne sans hics, sans accrocs, comme on suivrait le cours d'un fleuve parfois beau à pleurer, parfois capricieux, parfois meurtrier.
C'était un bonheur, une vraie joie au sens le plus fort du terme. L'auteur livre un roman composite, riche, qui va au bout de ses promesses et se permet de jouer avec les codes, et longtemps après avoir lu la dernière page, on se surprend à vouloir y retourner. Un vrai, vrai coup de coeur à 101%
Publié le 7 août 2023