Efficace, net, précis, et terriblement perturbant.
Peur Primale (Et Autres Récits) est le second recueil de nouvelles horrifiques et terrifiantes signées de la plume de Lancelot Cannissié, et contrairement à son premier ouvrage centré sur les monstres et les codes proches de Lovecraft, celui-ci va chercher dans la psychologie humaine pour exploiter les failles, les peurs cachées, les angoisses profondes, mais aussi laisser une vraie marque d'espoir ici et là.
Ici, les nouvelles jouent avec la forme. Certaines sont très courtes et très abruptes(Le buffet, Chimère), d'autres plus longues(La grenier Interdit, Le Cercle Des Loups), et deux d'elles flirtent presque avec le mini-roman (Carnival Massacre, Peur Primale). Cela donne un véritable effet de renouveau, de rythme original, de variation, et garde le lecteur sur la pointe des pieds. La chute menace à tout moment, et on ne sait jamais quand elle risque de tomber.
Les chutes, d'ailleurs, sont ici maitrisées. C'était une petite remarque faite à l'auteur sur sa précédente collection de nouvelles, et ici, elles sont mesurées, elles tombent comme des couperets, elles viennent couper l'herbe sous les pieds des lecteurs. Elles fonctionnement très bien !
Lancelot ici s'éloigne des lignes classiques façon Lovecraft de la quête aux monstres, et va chercher dans les âmes humaines les horreurs les plus fondamentales. Par exemple, les comportement et déviances psychologiques (la boulimie de Sylvie, les angoisses de Jacques, les envies de protéger son troupeau pour Rudy, les illusions perdues de l'enfance pour Timmy...) sont une immense source d'inspiration ici. Lancelot les sonde avec la fascination d'un explorateur des tréfonds du coeur humain, prêt à prendre en ligne de compte toutes les horreurs qui peuvent croiser nos existences bien normales.
Il faut souligner le travail minutieux apporté aux nouvelles qui lorgnent du côté du roman. Ce sont les deux piliers du recueil, d'abord Peur Primale qui est façonnée comme une chronique dans une maison de repos, et dont les pensionnaires en phase de reconstruction psychique vont subir une influence extérieure néfaste. Cette nouvelle propose une vision affutée des moments de remise en question qui vont avec une rémission, et explore les horreurs oniriques qui pèsent sur ces personnages. C'est un incipit très percutant.
A l'autre bout du recueil, Carnival Massacre reprend à son compte plusieurs grands thèmes célèbres de l'horreur des années 80-90 : les cirques, les fêtes foraines, les monstres en quête de rédemption physique en commettant des horreurs, les tronçonneuses acérées, l'angoisse de l'enquête qui patine pendant que les protagonistes deviennent victimes malgré eux. Même les personnels des autorités répondent à des archétypes repris à la sauce Lancelot, et font appel à une madeleine de Proust de la trouille adulescente (certains contenus m'ont rappelé mes lectures Chair De Poule et font référence à R.L.Stine).
Le style est toujours aussi efficace, les champs lexicaux sont adaptés et développés, et on conserve une perception multi-sensorielle des histoires-y compris dans la vision et l'odeur décrite des corps mutilés et/ou en décomposition. Il y a quelques petites maladresses dans l'utilisation de certains mots qui sortent du registre général de langue, mais rien de bien grave.
Cependant, Lancelot continue d'explorer le règne horrifique des montres, et propose même ici une petite enclyclopédie des horreurs qui traînent dans les forêts sombres et les sentiers perdus.
On soulignera tout de même une vraie nuance d'espoir dans les chutes, soit par soulagements, soit par acceptation presque complice de son sort funeste.
Pour conclure, Peur Primale offre une descente bilatérale dans les tréfonds des angoisses humaines et dans les horreurs causées par les créatures de la littérature d'horreur. Efficace, bien ficelé, le recueil séduira les fans du genre.
⭐ Les notes en détail
Comme toujours avec Lancelot, les personnages sortent de l'imaginaire des maîtres de l'horreur, et il les transforme et les personnifie pour en faire des identités propres. Mention spéciale pour le travail fait sur les personnages secondaires, souvent parents pauvres des nouvelles mais qui ici sont très bien cernés, notamment les membres des autorités ici et là. Bien joué !
Lancelot maîtrise totalement la création d'un univers angoissant, terrifiant, qui ne fait pas que jouer avec les peurs humaines mais aussi avec ses angoisses, ses insécurités et ses obsessions. Cependant, une vraie nuance d'espoir parvient à s'insinuer et soulager le lecteur une fois la chute passée.
Lancelot a un vrai style et une maîtrise évidente des mécanismes de la trouille sous toutes ses formes. Le style est efficace, fluide, rapide, haletant, palpitant, même. Il subsiste quelques petites maladresses de langage, mais rien de bien embêtant.
Une fois encore, je retrouve la plume de Lancelot avec joie. Je suis passée par toutes les émotions, et surtout, je constate comme il change et évolue d'un ouvrage sur l'autre. Pour les fans de frissons de toutes les couleurs, c'est un vrai bonheur.
Publié le 29 septembre 2023