Romance & Fantasy
1ère de couverture de Takotsubo
2 févr. 2022

Takotsubo

Informations
Dans ce roman court, du type « novella », le personnage principal qui est homosexuel souffre de cette maladie. Le médecin-légiste et d'autres témoins interrogés par l'enquêteur vont le révéler. Un corps est rejeté par la mer sur la côte rocheuse pas très loin du port de Nice. Un pêcheur local attrapera plus tard la tête dans son filet. Entre l'article du journal qui ouvre le roman et la lettre qui le termine, plusieurs personnes témoignent et vont apporter un ou des éléments qui serviront à dessiner le portrait du disparu. Au travers de ces récits, on voyage dans la vie de Seth, le disparu. On découvre sa vie amoureuse et son parcours à la fois particulier et commun. Il s'agit en fait, au gré de la lecture, d'arriver à créer l'existence de celui dont on a découvert d'abord le corps décapité. C'est une chorale dans laquelle chaque voix a sa particularité. J'ai eu envie de travailler sur le langage oral, sur sa proximité et sur le caractère de chacun des protagonistes.
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La chronique de Ellexa HeartsBooks
Simplement parfait.
Takotsubo pourrait être la suite de Seth Et Le Garçon-Sirène, roman que j'avais adoré, une histoire profondément touchante d'amours gays dans le monde frappé par le sida et l'homophobie ordinaire des combats pour le mariage pour tous. Il en a toutes les spécificités, et techniquement, il se positionne chronologiquement après, et les personnages s'y retrouvent. Mais je considère Takotsubo comme étant le compagnon de Seth Et Le Garçon-Sirène. Ils peuvent se lire indépendamment, ils se croisent sans jamais piétiner les plate-bandes de l'autre, et leur abord de la même histoire est à la fois diamétralement opposée et parfaitement enlacée. A l'image des relations amoureuses belles et dévastatrices entre garçons que Yves Rozier empoigne et restitue avec une tendresse et une force sans nom, ces deux romans sont un couple d'amoureux à la recherche d'une chimère, merveilleux ensembles, mais tout aussi beaux à part. Le roman est une collection de rapports de témoins et de proches de Seth, retrouvé noyé et décapité dans les flots, pendant l'enquête destinant à éclaircir les circonstances de sa disparition. L'interrogatoire est muet, les questions ne sont pas posées, mais elles sont cependant tout à fait compréhensibles tant les réponses sont orientées et guidées par un flic invisible. Au travers des témoignages de ceux qui ont croisé le défunt, ceux qui ont trouvé son corps, puis, petit à petit, son cercle proche d'amis et d'amants, on reconstitue le puzzle complexe d'une vie menacée par la montée fulgurante du sida, par la haine crasse des institutions et des idiots, et par un coeur grand, mais de plus en plus fragile. Fidèle à lui-même, Yves Rozier possède un style d'écriture aussi particulier que précis, et aussi unique que précieux. Chaque ligne, chaque phrase, chaque expression est soupesée et minutieusement sculptée pour maximiser son impact, tant sur la reconstitution de l'histoire que sur les émotions immenses qui se cachent dans cette chorale qui chante la même chanson, mais sur différents accords. On sent que l'auteur a crée les voix de chaque personnage de façon totalement indépendante, en donnant à chacun un rôle, une vie, une couleur, une force et des faiblesses, et parfois, les traces de l'homophobie et du racisme ordinaire, et les racines de ce qui fait tant de mal dans la société moderne. Il y a une fantastique progression dans l'ordre des témoignages, comme un cercle éloigné de Seth qui se rapproche petit à petit, et aide à raconter l'importance que les gens ont eu pour lui, et ceux qu'il a aimé plus que les autres. Il y a aussi une façon tout à fait particulière de raconter les romances sans les juger, pas seulement en transformant les amoureux gays en des couples immortels par leur beauté et leur force, mais aussi en caressant doucement les erreurs d'un soir, les choix lâches, les fois où la société finit par l'emporter sur la romance. Jamais les personnages ne tombent dans un extrême en pointant du doigt les haines qui ne sont pas manichéennes ou motivées par une envie viscérale de faire le mal, mais elles sont le produit d'un manque d'éducation, des influences religieuses, de préjugés ancestraux, et des contradictions humaines. Il faut une grandeur d'âme toute particulière pour tricoter un récit si engagé sans jamais prendre le parti de la facilité. Et, pour enfoncer le clou, le seul acte de violence homophobe pure et dure, qui finira par tuer un homme, se place comme la gifle qu'on prend en pleine figure et qui vient faire comprendre que c'est bel et bien cette haine-là, commune et quotidienne, qui vient alimenter les horreurs commises en son nom. Mais ce n'est jamais fait autrement que par le constat navrant de ce qu'on laisse passer. Un des trésors de ce récit-et il y en a tellement qu'une seule chronique ne peut décemment pas suffire-réside dans la maîtrise absolue du principe de roman chorale. Tous les chapitres présentent un acteur dans la vie de Seth, que ce soit un premier rôle ou de la figuration vague. Aucunes des voix ne se ressemblent, même un peu, que ce soit par les histoires, les idées, les envies, les besoins de tous qui sont articulés et façonnés personnage par personnage, mais aussi par leur façon de parler. Les tics de langage, les expressions, les mots utilisés, les variations de registres de langue, ils ont tous une couleur propre. C'est un camaïeu de voix et de gens, tout en nuances et en particularités. On a à peine besoin de lire le nom de la personne en tête de chapitre pour comprendre qu'on est passé à quelqu'un d'autre. L'autre très belle surprise de ce roman, c'est comme l'auteur ne fait pas que raconter l'histoire de Seth autour de sa mort, mais il réussit aussi à insérer ici et là des indices sur le futur de certains des témoins. Par un lapsus, par une question, par la mention inconsciente de quelque chose...Cela donne aux personnages une dimension très vivace, très organique. En racontant les gens, il raconte Seth, et en racontant Seth, il raconte le monde. Il y a une façon d'intégrer la grande histoire dans les petites, et de tenir tous ces gens qui se sont peut-être, ou peut-être pas, croisés, dans le creux d'une main qui transforme l'expérience de lecture en quelque chose de sublime, au sens littéral du terme. Aucune information ne manque pour comprendre l'histoire, qui se met en place comme un puzzle, ou plutôt, comme une photo un peu jaunie déchirée années après années, et dont on retrouve les pièces perdues aux 4 vents, jusqu'à ce que le portrait soit de nouveau intact. Ils viennent tous apporter leur fragment de l'image, leur vision de Seth. Un sympathique client ? Un père évanescent ? Un ami ? Un proche ? Une silhouette perdue dans le vague ? Le traumatisme de toute une vie ? Un amant ? Un artiste ? Un être humain comme un autre ? L'histoire a beau être la même, celle de cet homme qui a perdu la vie dans cet accident-mais en est-ce vraiment un ?-et pourtant, racontée ainsi, elle devient aussi un peu celle de tout le monde. On mesure à quel point un simple fait peut subir toutes les distorsions possibles selon que son existence est narrée par quelqu'un de proche, par un inconnu, par quelqu'un qui a aimé ou par quelqu'un qui jugera. Le nom du roman, Takotsubo, évoque une pathologie, celui du coeur brisé sur le plan physique. Mais Yves Rozier ne se contente pas de cette description, il parle des effets catastrophiques de la perte d'un amour, et comme le Takotsubo n'est peut-être pas le produit d'un seul choc, mais des chocs de toute une vie. Il y a un cri d'amour sous-jacent, et comme être gay n'est pas seulement une orientation sexuelle, mais aussi un combat contre la haine, contre le SIDA, contre le rejet de la société, du monde du travail, des institutions, et contre l'envie aussi compréhensible que terrible de ne jamais sortir du placard. La valse des témoignages est encadrée par deux chapitres importants : un article de presse, froid et impersonnel, et une lettre, enflammée et façon cri de vie à l'aube de la mort. C'est une parenthèse terriblement efficace, de la nuance la plus éloignée à la plus forte, la plus tragique et la plus belle tout à la fois. On appréciera aussi le traitement de la fin de vie et de l'envie de ne plus aller plus loin, sans sensationnalisme, sans volonté de faire débat, mais dans un constat simple et désarmant, déshabillé de tout jugement. On se surprend à prendre une pause et réfléchir sur la question, et bousculer ses croyances ou ses attentes sur le sujet. Enfin, que dire de cette légende de l'homme-sirène qui marque les deux romans, et qui est si bien montée et distillée au travers des obsessions des personnages, et surtout, de Seth. Le mythe de la sirène qui séduit par son chant et pousse les marins à la noyade devient ici presque un révélateur sur le coeur des hommes, et surtout, celui de ceux qui aiment aussi les autres hommes. Cette légende étrange est si bien capturée par l'auteur qu'on se surprend presque à chercher des cheveux dorés dans les flots au bord de la mer. Et si Yves Rozier n'avait fait que raconter la vérité, et si l'homme-sirène était tout près de nous...? Au final, un roman court mais magnifique, qui compense sa taille modeste par une richesse et une densité hors du commun. Loin des sentiers des histoires d'amour rentre-dedans, celle-ci est subtile, profonde et bouleversante, et elle donne à réfléchir sur les biais de la société, et sur l'Amour, le vrai, le pur, celui qui passe au delà de la mort.

⭐ Les notes en détail

Personnages

10/10

J'ai mis 10, mais ça mérite presque 11 tant les personnages sont écrits comme un diamantaire transforme une pierre en joyau. Ils ont tous et toutes une histoire qui apparaît en filigrane de ces témoignages, une façon de parler, leurs idées et leur éducation se trahissent au travers des manières de répondre à l'enquêteur, ainsi que, parfois, aussi, leur futur. C'est fin, délicat, précis, et même sans les connaître, on parvient à se les représenter. C'est sublime.

Atmosphère

10/10

Le choix de l'auteur de raconter l'histoire d'une mort, et surtout, celle d'une vie, par une collection de témoignages des plus distants aux plus intimes, donne au roman un petit côté presque film noir, de prime abord, puis progressivement, on rentre dans une peinture sociale du monde dans lequel la victime a vécu, parfois pesant, parfois touchant, toujours très vrai et très réaliste dans sa capture des blessures et des préjugés.

Style d'écriture

10/10

Yves Rozier possède une richesse folle, sûrement façonnée au gré de ses romans, celle du style précis et sans fanfreluches. Toutes les informations sont mesurées, calibrées, même leur impact est calculé à la virgule prés. Cela rend le texte très plaisant à lire, et très facile à comprendre, mais aussi à laisser une pellicule d'émotion de côté pour la lecture suivante. Un auteur qui tient la lecture plurielle, c'est rare.

Intrigue

10/10

Le coeur de l'histoire, cette mort brutale et qui a jeté un voile de chaos tout autour, est sans cesse en fil rouge sans jamais être trop présent, ou trop lourd, et permet à toutes les petites histoires de s'accrocher et de s'articuler entre elles. La façon dont les témoignages se croisent et s'enrichissent mutuellement donne au roman une tension certaine, même si on comprend finalement très vite ce qui s'est passé. Ce n'est plus tellement ça qui compte, au final.

Immersion

10/10

Toutes ces histoires et tous ces personnages, et la façon très nette et très puissante dont l'interrogatoire est réduit à son strict minimum-la déposition des témoins et des personnes concernées-permettent de rentrer dans le roman en quelques lignes, et de ne jamais en perdre la ligne de flottaison.

Cohérence

10/10

Tout est parfaitement disposé, comme une photo qui aurait été déchirée en morceaux et qu'on reconstituerait personnage après personnage. Il ne manque rien, tout est parfaitement logique, cohérent, comme un arbre généalogique de la disparition de Seth.

Plaisir

10/10

C'est une merveille à lire. C'est très court, et même si on en veut plus de par ce plaisir impossible à ignorer, le calibrage de l'oeuvre est parfait. On arrive à la dernière page dans un soupir aussi triste que beau, et avec la sensation que tout a été dit de la meilleure façon possible. Et on se sent un tout petit peu plus tolérant, et un tout petit peu plus humain, aussi.

Note finale

5.00
Publié le 22 août 2023

Évaluation de la chronique par l'auteur

✨ Excellent