Romance
1ère de couverture de Ciel d'automne
22 avr. 2022

Ciel d'automne

Informations
Rio ne vit que pour une seule chose : le football. Courant après les ballons depuis sa plus tendre enfance, il court surtout après son rêve, celui de devenir joueur professionnel. Adulé par la moitié de son école, il porte fièrement son étiquette de joueur vedette. Miho, son meilleur ami, est son parfait miroir. Se connaissant depuis l'enfance, d'abord rivaux puis coéquipiers, les deux jeunes hommes sont comme un seul être sur le terrain. Les deux doigts de la main, les deux faces d'une même pièce, les surnoms pleuvent sur ceux qui semblent tout savoir l'un de l'autre. Mais la réalité les rattrape, tout comme les mensonges. Lorsque l'automne arrive, en amenant avec lui la rentrée en dernière année et le début d'une nouvelle saison de football, les feuilles tombent, tout comme les masques.
Toutes les chroniques
/
La chronique de Ellexa HeartsBooks
Plongée minutieuse dans les coeurs des adolescents
Dans la valse des romans Young Adult orienté LGBT, Ciel d'Automne propose une approche différente, plus forte, plus passionnante, plus lente aussi que les romans pressés de propulser les jeunes gens dans les bras d'amants et d'amoureux. C'est bien là que se trouve l'originalité du récit : au lieu de simplifier les moeurs et les coeurs des adolescents qui deviennent de jeunes adultes, Ludivine Silvestre prend le parti de les examiner dans le détail, et de leur laisser un véritable espace narratif pour s'exprimer. Rio et Miho sont au pinacle de la vie de lycéens de dernière année. Vedettes de l'équipe de foot, ils sont inséparables et ont le monde à leurs pieds. Vraiment ? Quand une tragédie frappe les deux jeunes hommes, les illusions se fissurent, les masques tombent, et brusquement, les choses ne semblent plus ni si évidentes, ni si faciles. Et si l'amitié entre ces deux-là prenait la liberté d'évoluer autrement ? Fragiles comme des feuilles mortes qui volent à l'automne, les coeurs de ces personnages prennent les intempéries et en profitent pour comprendre un peu mieux qui ils sont vraiment. Ciel d'Automne est un ensemble complexe, et sur tellement de plans. Tout d'abord, l'autrice prend le parti courageux (et qui représente sans nulle doute un travail colossal !) de ne pas économiser le temps narratif. Elle choisit de poser les mois de l'année en longueur, d'aller au plus profond des émotions et des évènements façon rites de passage, et de provoquer des grandes conversations entre les personnages. Parfois, on a peut-être un peu l'impression qu'il y a un peu trop, mais c'est le pendant d'une qualité majeure, alors, on pardonne vite, parce que jamais ce n'est pour piétiner dans le vide. Tous les développements donnent aux personnages un espace pour grandir, maturer, évoluer, se questionner, se tromper, se comprendre un peu mieux. Ludivine prend aussi le parti de ne pas se figer dans les histoires des adolescents seulement, mais de mettre en abîme le monde qui tourne autour d'eux, et les complications de la vie d'adulte en général. Ici, clairement, on est là pour observer, apprendre, saisir les personnages par la main et les voir grandir dans un timelapse émotionnel sur une année. C'est une force, même dans ses (petites, et rares) faiblesses. L'autrice s'attaque à la délicate période pendant laquelle un adulte en devenir va questionner sa sexualité par rapport à la norme hétérocentrée. C'est un pari très risqué, parce que souvent mal traité, ou trop rapidement. Ici, ce n'est pas le cas. Ludivine pose les choses, elle les laissent se décanter d'elle-mêmes, elle soulève toutes les hésitations et les incertitudes qui jalonnent la prise de conscience qui va avec la réalisation qu'on ne fait pas partie de l'hétéronorme. Rien n'est précipité, les errances, les doutes, les franchissements de lignes rouges, tout est autorisé et elle laisse un vrai espace pour toutes ces émotions sans jamais les subir. Comment ne pas louer haut et fort l'intelligence émotionnelle de l'autrice qui ne va pas seulement soulever la question gay, mais aussi s'emparer des identités bisexuelles, pansexuelles, et asexuelles ? Et ce, sans jamais qu'il n'y ait la moindre confusion, ni le moindre raccourci. C'est presque pédagogique tant l'autrice est claire et créative. En modelant l'univers dans lequel les personnages existent, elle donne aussi une liberté à ceux-là, et surtout, une (quasi totale) absence de jugement. Contrairement à bien des YA LGBT avec "drama" inutile pour créer du contenu, ici tout a du sens, et personne n'attaque personne sans que de vraies émotions ne le justifie. Il faut saluer aussi la recherche en psychologie faite par l'autrice. Loin de se contenter de personnages passifs, elle les fait réagir aux évènements, observe les phobies et les effets de crises de panique, détaille en profondeur les petits et les grands traumatismes générés par la vie en général. Les réactions des personnages à tout ce qui leur arrive fait sens, est profondément ancré dans le réalisme, et permet de proposer des portraits bouleversants de vérité tout au long des mois de cette année décidément charnière. La fin est intéressante aussi. Sans spoiler, elle est plus ambitieuse que la majorité des romans YA, et permet d'offrir une réelle forme de "boucle bouclée" qui pose les personnages dans un arc qui dépasse largement celui du roman. Les personnages débordent du roman, existent en dehors, et on peut se prendre à imaginer où ils sont aujourd'hui. Enfin, comment ne pas souligner la variété dans les thèmes, bien au delà du simple questionnement personnel. Le suicide, le coming out, la misogynie interne trans-génération, les attentes déraisonnables sur les épaules des jeunes gens, l'impact traumatique des troubles familiaux, les relations physiques forcées mais aussi, l'amitié, et surtout, l'amitié intersexe sans que jamais cela ne bascule. L'autrice souligne l'importance des liens que les adulescents tissent en général, et comme il est plus facile de chercher des réponses entre eux qu'en allant demander aux adultes. On perçoit de façon tout à fait puissante le cercle d'or entre les jeunes adultes et le reste du monde, et comme la communication entre les deux parties n'est pas si facile que cela. Mention spéciale à la fantastique utilisation du chat de Shrödinger qui fait merveilleusement sens et est une image époustouflante. Un vrai coup de génie de la part de l'autrice, qui pourrait sans aucun soucis être utilisé de nouveau dans le futur pour expliquer les facettes d'une relation naissante. C'est très, très bien vu. Il subsiste quelques défauts qui égratignent un peu ce portrait plutôt très positif et porteur. Par exemple, ce qui conduit à l'état de Miho est un peu rapide. On aimerait que quelque chose qui change la vie tant que cela ait des racines plus solides, qu'on en sache plus sur la nature de ce qui est arrivé. Dans la même lancée, le rapport entre Miho et la médecine est un peu simplifié, alors que le reste du roman est très très travaillé et développé. Par exemple, l'histoire des assurances qui choisissent de ne pas rembourser sous une semaine, c'est bien trop rapide pour le traitement de la première demande. C'est dommage, parce que ces petits raccourcis-qui ne sont pourtant pas légion-ralentissent la fantastique fluidité du récit, et son réalisme ultra travaillé. Pour conclure, Ciel d'Automne est un roman nécessaire, et qui pourrait faire beaucoup de bien mis entre les mains hésitantes et apeurées des adolescents qui sont terrifiés par les émotions qui les traversent. La pédagogie qui s'en dégage permet un message de tolérance et de compréhension dont le monde a cruellement besoin.

⭐ Les notes en détail

Personnages

9/10

Il y un vrai travail de recherche apporté à la création des personnages, et une envie très nette et plutôt bien exprimée de placer les protagonistes dans une personnalité propre, avec qualités, défauts, piques hormonales et réactions typiques des jeunes gens, et l'autrice prend certains clichés et les casse minutieusement. Petit regret sur le manque de différenciation des voix de Rio et Miho dans les narrations respectives

Style d'écriture

10/10

Le style de l'autrice est très net, fluide, imagé, le vocabulaire est riche et adapté, les registres de langue correspondent aux adolescents et jeunes adultes, et les champs lexicaux sont recherchés.

Intrigue

9/10

L'autrice fait le choix de transformer ses chapitres en mois d'une année scolaire, ce qui donne une impression de linéarité profonde. L'intrigue repose sur la façon dont les jeunes gens du récit trouvent leurs marques dans un monde qui ne leur laisse pas vraiment la liberté pour, et la façon dont ils apprennent, se trompent, et comprennent la teneur de leur propre coeur. Cependant, il y a des rebondissements, des épreuves et des joies. Le tout est plutôt très bien mené.

Immersion

9/10

Le début du roman est un peu confus, mais après quelques dizaines de pages, les choses se posent enfin et on parvient à percevoir sans problème les troubles, les inquiétudes, les envies et les passions, les idéaux et les rêves des personnages. On finit en tant que lecteur par les prendre sous notre aile et vouloir les protéger. Leurs histoires deviennent un peu les nôtres, et la variété dans les rebondissements permet de s'identifier à eux.

Cohérence

8/10

De façon globale, l'histoire est plutôt cohérente, et il y a eu un vrai travail de recherche pour coller au plus réaliste. Cependant, quelques détails m'ont un peu gênée, parce qu'ils manquent un peu de cohérence : par exemple, la façon dont l'accident arrive, et la linéarité temporelle qui met Miho dans un fauteuil manquait de points de repères dans le réel, et donnait l'impression d'être accélérée, alors que le roman prend plutôt son temps.

Plaisir

9/10

Vue la volonté plutôt très rafraîchissante de creuser dans les coeurs des ados plutôt que les précipiter dans les bras de l'un ou de l'autre, le roman offre une vraie plongée dans ce que cela fait que de ne pas être dans la norme hétérocentrée. L'autrice prend vraiment le temps de faire évoluer ses personnages dans ce contexte, et elle a une véritable notion de la psychologie adulescente. C'est un YA qui fait un peu figure d'outsider mais franchira bien la ligne d'arrivée en premier.

Note finale

4.50
Publié le 27 septembre 2023

Évaluation de la chronique par l'auteur

✨ Excellent